Chaque semaine, son premier geste à l'arrivée dans mon bureau est de déposer une maquette de train sur la table avant d'enlever son manteau et s'installer.
Comme tant d'autres enfants (et adultes), il est féru de trains.
Sa passion a commencé par les formes triangulaires, puis s'est élargie aux formes géométriques en général, pourvu qu'elles soient anguleuses. De là, il n'a pas tardé à développer une fascination pour les portes et fenêtres qui perdure.
Or, qu'est-ce qui est pourvu de portes et fenêtres sur toute sa surface ? Un train, bien sûr !
Grâce à sa passion pour les trains et à ses parents, E. a pu apprendre à faire tout un tas de choses qu'il refusait : dessiner, découper, coller, imprimer, plastifier, monter des maquettes, effectuer des recherches, etc.
En orthophonie, nous avons "utilisé" son intérêt pour l'amener à développer son langage : vocabulaire (le plus facile), syntaxe (ça se complique) et pragmatique (le plus compliqué) en apprenant à poser des questions, à respecter le tour de parole, à devenir plus informatif et intelligible.
Bien sûr, il nous arrive aussi de lire et d'écrire sur, avec, autour des trains.
De son côté, branché sur des chaînes YouTube spécialisées (et toujours sous contrôle parental), il a accumulé des wagons de connaissances : noms des différents trains, types de fonctionnement selon les époques, les pays, destinations desservies, spécificités des métros du monde, etc.
Il y a 2 ou 3 ans, c'est devenu assez drôle quand il a commencé à apprendre le russe tout seul en regardant des vidéos de trains abandonnés (une niche !). Puis, allez savoir pourquoi, les vidéos russes sont un peu passées de mode...
Il a aussi eu sa période accidents de trains. Il en connaissait alors les moindres détails : dates, lieux, causes. Dans mon bureau, lors d'une "pause train", il a ainsi rejoué tout un reportage.
En entendant la voix tragique qu'il prenait, j'ai mis quelques secondes à comprendre que ses intonations étaient celles du présentateur télé.
- Nous sommes le 27 juin 1988, il est 19h10 quand le train en provenance de Melun arrive gare de Lyon. Madame B. sera la seule passagère du premier wagon a avoir survécu...
Il a encore un peu de mal à comprendre que le monde entier ne soit pas passionné de trains, mais apprend peu à peu à réfréner ses ardeurs sur le sujet et poser quelques questions sur ce qui nous intéresse, nous, les autres.
Il arrive que lors de la discussion de début de séance, j'interdise de parler de trains pour le mobiliser sur d'autres sujets, ce qu'il n'apprécie pas. Mais, depuis qu'il fait des séances avec une autre enfant, il s'oblige lui-même à diversifier ses sujets, car il a bien saisi que les trains ne la passionnaient pas et il n'a pas envie qu'elle s'ennuie.
Je me demande si je lui ai déjà raconté que je tenais un blog sur ce que lisent les gens dans le métro. Il me semble que sa mère - grande lectrice ! - le sait. Et si jamais ce n'est pas encore le cas, ça le sera bientôt, puisque je compte bien lui faire valider ce post avant de le publier.
Et E., que va-t-il en penser de mon obsession pour les lecteurs et lectrices du métro ? Partagerons-nous ainsi un intérêt spécifique ?
D'ailleurs, pourquoi parle-t-on de "passion" pour les neurotypiques et "d'intérêt spécifique" pour les autistes ? Ces deux termes ne se recoupent-ils vraiment en aucune manière ?
La distinction est-elle clinique ou linguistique ?
(Avis aux avis en commentaires !)
Des nouvelles du blog :
Dans la série consultations, liens vers d'anciens post
Une séance avec un enfant qui découvre la peinture de "Chacal" (version bilingue)
Une promenade au Louvre avec trois enfants (hors cadre...)
Écrits de permanence offerts par J., 13 ans, et publiés ici avec son accord (post le plus vu du blog :)
Dialogue autour d'une image d'une personnage noir dans un musée (attention, ça pique)
Dans le métro, en juin, j'ai lu ou croisé :
Deborah LEVY Ce que je ne veux pas savoir
Sebastian FITZEK
Jandy NELSON Le soleil est pour toi
Stephen KING Rêves et cauchemars
Alka JOSHI La tatoueuse de Jaipur
Un livre en cyrillique
MUSSO
Lilia HASSAINE Soleil amer
J.D. SALINGER L’attrape-cœurs
JJ BENITEZ Caballo de Troya
Pier Paolo PASOLINI Dialogues en public
Roberto SAVIANO Gomorra
Franck THILLIEZ La faille
TREMBLAY
Colson WHITEHEAD Underground railroad
Tempêtes villas étoffes (quelque chose me dit que ça ne doit pas être ça...)
JMG LE CLEZIO Avers
BEIGBEDER 99 francs
Jean-Christophe GRANGÉ Le vol des cigognes
Sven ELVESTAD
Jean-Philippe JAWORSKI Récits de vieux voyages
Arnaldur INDRIDASON Les nuits de Reykjavik
Maurice DRUON Les rois maudits Le roi de fer
Olivier NOREK Code 93
Big pharma démasquée
Nicole FLATTERY Dans la joie et la bonne humeur
Guillaume MUSSO
Henry MULLER Clem
Masashi KISHIMOTO Naruto
Lisa GARNER Preuves d’amour
La femme qui parle avec son ado qui se la joue rebelle en mocassins et polo bleu marine.
- Alors comme ça, tu vas rien faire ?
- Ça va pas, c’est que le brevet, je vais quand même pas bosser !
- Ah… donc là pendant 5 jours, tu travailles pas ?
- Non, je vais pas travailler pour le brevet!
Et, elle blasée, ne disant rien, levant les yeux au ciel.
Problème de raisonnement sociologico-logique : Est-ce qu’un garçon à polo (je ne dis pas une fille) peut se permettre de ne pas travailler sans prendre le risque du déclassement ? Et si oui, jusqu’à quel âge ?
Paul KEARNEY Les monarchies divines
Olivier BABEAU La tyrannie du divertissement (c'est étonnant, il me semblait plutôt qu'on manquait un peu de divertissement par les temps qui courent)
Francis FUKUYAMA The origins of political order (déjà croisé récemment… ça doit être le même lecteur bien que je ne le reconnaisse pas)
Marie-Antoinette
Julia QUINN Le quartet des Smythe-Smith
Maggie NELSON Les argonautes
Daniel KEHLMANN Le roman de Tyll Ulespiègle
Pierre GRIMMAL Mémoires d’Agrippine
Al ALVAREZ Le plus gros jeu
John BEVERE The axe of god
DUMAS Le comte de Monte-Cristo
SAS Les fous de Benghazi
Eliette ABECASSIS Un couple
Une trèèèèèèèès vieille dame avec sa robe en jean, son implant cochléaire, ses baskets et un papier décrivant sont trajet étape par étape #admiration
DOSTOIEVSKI Le joueur
Adelheid DUVANEL La maison disparue
Alice CERESA Bambine
J. K. ROWLING Harry Potter
Raphaelle GIORDANO Le spleen du pop corn
Lairen GROFF Matrix
Casey McQUISTON Red, white and royal blue
Pierre LEMAÎTRE
Mohamed MBOUGAR SARR La plus secrète mémoire des hommes
Paolo COEHLO L’alchimiste
Olivier GUEZ La disparition de Joseph Mengele
Patricia CORNWELL Livide
Peter JAMES Possession
Sylvain TESSON
Adrian McKINTY Ne me cherche pas demain
Romain GARY Les oiseaux vont mourir au Pérou
Deborah LEVY Le coût de la vie
Joseph KESSEL Les mains du miracle
Simone de BEAUVOIR Le deuxième sexe II
Philipp PULLMAN La belle sauvage
CHATEAUBRIAND
Eric BRANCA L’ami américain
Adam J. KURTZ Un jour 1 page
P.D. EASTMAN Are you my mother?
Robert SEETHALER Le dernier mouvement
Edna O’BRIEN Femmes de Joyce
Marc LEVY Noa
Marianne JAEGLE Vincent qu’on assassine
Lynne KELLY Ballade pour une baleine
Henry TROYAT La fille de l’écrivain
Arthur SCHOPENHAUER
Aline KINER La nuit des béguines
Eric REINHARDT L’amour et les forêts
La gagnante du mois est donc Deborah LEVY, ce qui n'est pas pour me déplaire !
Extraits
Victor m’a raconté que son grand-père était venu d’Inde pour travailler dans les champs de canne à sucre dans le Natal. Il a dit que chaque fois que je saupoudrais mon pamplemousse d’une cuiller à café de sucre qui allait ensuite me pourrrrrir les dents, je devais me souvenir que c’était son grand-père qui plantait l’or blanc d’Afrique du sud .
Ou
Que fait-on du savoir qui nous empêche de vivre? Que fait-on de ce qu'on ne veut pas savoir?
Ou encore
Une femme qui écrit ne peut pas se permettre d'éprouver sa vie trop clairement. Si elle le fait, elle écrira dans la rage quand elle devrait écrire dans le calme.
Deborah LEVY
Ce que je ne veux pas savoir
Trad. de l'anglais par Céline LEROY
Ed. du sous-sol
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